La réduction à deux mois du délai pour contester un licenciement, posée comme une hypothèse sérieuse par l’exécutif, s’insère à la suite d’une série de mesures visant à éloigner les salariés du juge prud’homal.
L’heure est aux ballons d’essai du côté du gouvernement, qui a enclenché une séquence de communication articulée autour de la réaction aux chiffres du chômage et d’un impératif de simplification de la vie des entreprises. Pour des raisons très politiques, c’est le ministre de l’Économie qui est à la manœuvre y compris sur le terrain du droit du travail. Une des mesures testées dans l’opinion (et déjà expertisée par la Direction générale du travail) tiendrait dans la réduction d’un an à deux mois du délai laissé au salarié pour contester son licenciement.
L’initiative poursuit un mouvement de réduction drastique du délai pour agir. Malgré des élucubrations qui cherchent maladroitement à présenter l’idée comme favorable aux salariés, l’objectif tient dans la limitation du risque pour l’employeur (sans pour autant que le patronat ne soit demandeur), lequel saurait au bout de deux mois seulement s’il y a lieu de s’inquiéter ou non d’un éventuel contentieux. La proposition s’inscrit aussi dans un mouvement plus large qui vise à sécuriser les ruptures du contrat de travail en raréfiant leur contestation, et pour le dire plus crûment, en décourageant les salariés de porter leur cas en justice.
Le barème, un épuisement de l’enjeu
L’introduction du barème Macron en 2017 est un instrument de dissuasion puissant à l’encontre de ceux qui envisagent de porter une affaire devant le conseil de prud’hommes. En encadrant les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse entre un plancher et un plafond, le dispositif fixe par avance les enjeux financiers du contentieux [C. trav., art. L. 1235-3]. Le salarié sait à quoi il peut prétendre dans le meilleur des cas ; l’employeur combien il doit provisionner dans son scénario du pire. Il est certes possible de s’extraire du barème dans certains cas de nullité du licenciement qui couvrent les situations les plus graves [C. trav., art. L. 1235-3-1], ou d’ajouter des demandes qui ne relèvent pas de la rupture à proprement parler (rappels de salaire, par exemple). Mais le barème circonscrit les limites du prévisible pour les parties dans la majorité des cas.
La principale étude menée sur le sujet montre un resserrement des sommes attribuées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle en déduit des effets plus profonds. Car en parallèle de la baisse de l’indemnité moyenne versée, le minimum s’avère plus élevé : ce constat met en lumière que les salariés qui ont fait la démarche de demander réparation étaient motivés par un enjeu financier substantiel. Au contraire, de nombreux autres salariés illégalement congédiés ont certainement renoncé face à des perspectives de gain modiques, donc démotivantes.
La construction du barème démoralise avant tout les salariés les plus fragiles, dont la rémunération est faible et l’ancienneté limitée ; autrement dit les plus précaires. Face à la protection que confère le droit du travail, la disparité entre insiders et outsiders s’accentue, à rebours du décloisonnement un temps prôné par les mêmes qui ont instauré le barème. Le droit d’agir en justice s’en trouve abîmé : le cadre à forte ancienneté et rémunération confortable conserve de bonnes raisons de saisir un juge, car les montants en jeu seront substantiels ; mais ceux qui se trouvent au bas de l’échelle abdiqueront probablement, car même en cas de victoire, ils n’en tireraient guère plus que la fierté d’avoir eu raison et une connaissance approfondie du système judiciaire. Des satisfactions qui ne payent pas les loyers, ni ne remplissent les frigidaires.

La saisine du conseil de prud’hommes, un obstacle technique
L’autre frein à la contestation des licenciements tient dans les modalités de saisine de la juridiction prud’homale. Depuis 2016, la requête doit en effet contenir un exposé sommaire des motifs de la demande, mentionner chacun des chefs de celle-ci, et s’accompagner des pièces que le demandeur souhaite invoquer [C. trav., art. R. 1452-2]. Cette exigence se combine avec la fin du principe de l’unicité de l’instante, qui permettait auparavant d’ajouter des demandes en cours de contentieux [C. trav., art. R. 1452-6 et R. 1452-7 anciens]. En résumé, le dossier présenté à la date de la saisine doit être le plus complet possible, rendant plus haute la première marche de l’action en justice. Autant de contraintes qui ont occasionné une réduction des saisines de 18 % entre 2015 et 2016, puis de 16 % de 2016 à 2017 (selon le rapport d’évaluation des ordonnances Macron, p. 149), soit un effet plus sévère encore que celui du barème sur le volume de contentieux.
Remarque
L’obligation faite au salarié de présenter une demande complète tranche avec la simple invitation faite en retour à l’employeur de communiquer les pièces qu’il entend verser aux débats [C. trav., art. R. 1452-4], avec toutes les opportunités de temporisation et de ralentissement que cette latitude implique.
Dans l’hypothèse d’un délai de contestation réduit à deux mois, sa combinaison avec les modalités de saisine viendrait encore surélever l’obstacle à agir en justice. Car ce laps de temps ne serait pas seulement celui dans lequel le salarié peut décider ou non d’agir, mais celui dans lequel il doit préparer son dossier, un exercice pour le moins périlleux. Des difficultés redoublées pour un salarié retenu en poste par un préavis de départ… qui peut atteindre et même dépasser deux mois, alors que le délai de contestation commence à courir à la notification du licenciement [C. trav., art. L. 1471-1]. La capacité des avocats à conseiller sereinement leurs clients salariés risque d’en pâtir, comme la qualité des saisines introduites dans l’urgence si le choix d’agir est finalement retenu.
La proposition de réduire le délai de contestation du licenciement s’inscrit donc en cohérence avec un ensemble de mesures visant à éloigner les salariés du conseil de prud’hommes. S’il est permis de s’interroger sur une forme de rationalisation des actions judiciaires liées au travail, comment ne pas voir qu’elle se fait ici aux dépens des plus fragiles, occupant des positions dévalorisées dans le monde du travail, ou trop affectés par la rupture de leur contrat pour avoir la force de réagir promptement. Autant d’indices d’un accès à la justice à la fois dissuadé, et inégalitaire.