Chaque année à la fin du mois d’août, des ministres se rendent aux Universités d’été du Medef, en « opération séduction ». Tour d’horizon des méthodes employées pour tenter de charmer les dirigeants économiques.
Ces 28 et 29 août 2023, les Rencontres des entrepreneurs de France, nouveau nom donné aux Universités d’été du Medef, se déroulaient à l’Hippodrome de Longchamp. Chaque année depuis 24 ans, ce raout du grand patronat français fait office de marqueur de la rentrée politique et économique, auquel se pressent immanquablement des candidats en campagne, ou des ministres en service après-vente de l’action gouvernementale. Devant un auditoire particulièrement exigeant et parfois vindicatif, nombreux sont ceux (ou plus rarement celles) qui réservent quelque annonce de mesure plus ou moins fracassante, ou affirment quelque positionnement forcément pro-business. Mais pour que les éditorialistes puissent, les jours suivants, souligner la réussite de ces « opérations séduction », encore faut-il savoir envoûter et cajoler son auditoire. Au risque de verser dans les techniques de drague les plus éculées ? Manifestement, jouer les tombeurs sur une estrade n’effraie pas les plus éminents de nos responsables publics, comme nous le confirme un rapide coup d’œil vers le passé, en forme de typologie des numéros de charme au monde économique.
L’amoureux fougueux
« Moi, j’aime l’entreprise ! »
Manuel Valls, 27 août 2014
Le plan drague un peu convenu qui tourne à la grande déclaration d’amour enflammée, c’est une idée qu’on doit au tempérament méditerranéen de Manuel Valls, lequel avait manifestement attrapé un coup de soleil, un coup d’amour et même un coup de je t’aime, à l’été 2014. Non content d’incarner le virage social-libéral du quinquennat Hollande, le Premier ministre s’est fendu devant le patronat de proclamations passionnées dont chacun sait pertinemment, quand elles surviennent trop tôt dans une relation, qu’elles sont aussi gênantes pour l’émetteur que pour le destinataire (et je ne vous parle même pas des témoins oculaires). On aurait pu s’en tenir là en trouvant ça gentiment ridicule (d’ailleurs sa chemise n’était même pas détrempée), sauf qu’on ignorait encore naïvement que ce béguin estival pour l’entreprise allait imposer par la suite, et selon la formule consacrée, d’apporter aussi des preuves d’amour…

Le modeste
« Je ne sais pas ce que c’est qu’un super-profit. »
Bruno Le Maire, 30 août 2022
La technique joue sur des ressorts psychologiques particuliers, mais après tout pourquoi pas : se rabaisser un peu pour mettre en valeur son partenaire par comparaison, certains ont essayé. C’est le cas de Bruno Le Maire, venu en 2022 confesser dans un sourire entendu son ignorance de l’existence des super-profits. On espère sincèrement que les chefs d’entreprise qui lui faisaient face auront profité de la perche tendue pour renforcer leur estime de soi, en lui apportant leurs éclairages. Et puisque la posture de déférence du ministre doit être complète, pas question du brusquer l’interlocuteur : Bruno Le Maire « invite à créer des emplois » (2017) – préfiguration de ses demandes faites à la grande distribution de baisser les prix –, Bruno Le Maire a « besoin de vous » et même « besoin de vos propositions » (2023). En résumé, on sait dès le premier rendez-vous qui, dans le couple, prendra les décisions.

Le sans-gêne
« Je vais partout où l’on m’invite. »
Nicolas Sarkozy, 30 août 2007
La grosse bagnole, la belle montre, le costard de marque, et puis l’invitation sur le yacht d’un copain milliardaire : la drague matérialiste est un genre en soi, et s’agissant des rencontres d’été du Medef, Nicolas Sarkozy est son champion. Songez-donc : dès 2006, le ministre de l’Intérieur d’alors fait une apparition remarquée en débarquant à l’évènement en hélicoptère depuis Troyes où il avait une réunion la veille, suscitant une comparaison avec Johnny Halliday formulée par son hôte, Laurence Parisot (je n’invente rien, l’ancien monde fonctionnait comme ça). Inutile de préciser qu’avec ce genre de personnage, une part de cabotinage et une absence totale de gêne sont à prévoir, comme l’année suivante, lorsque le Président de la République fraîchement élu est le premier occupant du poste (et à ce jour, sauf erreur, le dernier) à se rendre en personne à l’invitation du mouvement patronal. Il y fait d’ailleurs savoir « à tous ceux qui ne m’invitent pas qu’il est difficile pour moi de venir si l’on ne m’invite pas » – oubliant sans doute un peu vite sa tendance à s’inviter partout –. Le problème avec le bling-bling, c’est le risque que les paillettes dans les yeux se muent en déception puis en rancœur tenace, ce que l’intéressé aura l’occasion de vérifier en 2016 (après être arrivé en retard, comme il se doit). En 2019, enfin, le temps était à la nostalgie, et devinez quoi : à la surprise d’absolument personne, il a fait des blagues sur ses divorces.

L’amant adultère
« Ensemble, nous devons prendre plus de risques. »
Emmanuel Macron, 27 août 2015
Aller draguer dans le dos de son conjoint, c’est pas joli-joli, mais il se trouve toujours des audacieux pour ne guère se soucier des conséquences, voire même pour aller s’en vanter. Le fulgurant destin politique de l’actuel Président de la République est après tout réductible à une forme de trahison envers ceux qui lui avaient fait confiance. Les signes avant-coureurs étaient pourtant difficiles à ignorer. Comme lors de cet après-midi de la fin août 2015, où non content de mettre en avant des « preuves d’amour » (lesquelles avaient vocation à confirmer les déclarations du Premier ministre l’année précédente, évoquées plus haut), le ministre de l’Économie lâche quelques vacheries sur sa régulière d’alors, du genre « la gauche a pu croire, il y a longtemps, que la France pourrait aller mieux en travaillant moins ». Avant de rejeter la faute sur la victime de la tromperie : « On m’a invité ici à débattre, et à venir expliquer la politique économique du gouvernement, on ne m’a pas invité à le faire à La Rochelle. » Certains y ont peut-être vu une toquade ; pourtant, la liaison était durable et l’impétrant n’attendait que d’être libéré de ses anciennes affinités pour se donner tout entier à de nouveaux partenaires. Comme quoi, des relations durables peuvent naître de tromperies éhontées.

Celui qui paye l’addition
« Ce plan, finalement, ne réussira, vous l’avez dit, que si nous créons ensemble les conditions de la confiance. »
Jean Castex, 26 août 2020
C’est sans doute assez inconvenant de le dire ainsi, mais le patronat est vénal. Alors forcément, se pointer au rencard avec son chéquier est une stratégie qui fonctionne plutôt bien, et constitue même un invariant des visites ministérielles aux festivités entrepreneuriales. Jean Castex a pu en faire l’expérience heureuse en 2020 (année faste s’il en est pour l’argent public en open-bar), venant annoncer pêle-mêle la réduction de 10 milliards d’euros de la CVAE en entrée, 100 milliards de plan de relance pour les investissements en plat principal, sans compter une rallonge d’un mois de l’activité partielle sans reste à charge, qui par ces temps de Covid était à l’annonce d’aide publique ce que le café gourmand est au dessert. Peut-être même a-t-il lâché un « non non, c’est pour moi, ça me fait plaisir » en repartant du buffet servi après le discours.
