Considérations sur le travail

Libres propos consacrés au travail et à son droit


Le poids des mots : quelques repères morphologiques au sujet du Code du travail

Longtemps objet de controverses, la question de l’épaisseur du Code du travail s’est éclipsée des discussions depuis quelques années. Une disparition bienvenue pour revenir au fond de la matière, qui n’interdit pas de vérifier, indicateurs à l’appui, comment les textes continuent de s’empiler.

Le débat est ancré dans la mémoire collective de plusieurs générations de juristes en droit social : fût un temps pas si lointain où le Code du travail était considéré trop lourd, trop bavard, trop pénible à manipuler, ce que beaucoup interprétaient comme des manifestations de son caractère trop contraignant. Ce site s’est ainsi fait l’écho de ce que proposait, en 2015, le rapport Combrexelle. Malgré une mise à distance des approches purement statistiques, l’actuel directeur de cabinet de la Première Ministre envisageait alors l’application d’une règle dite « one in, one out », puis promettait, à terme, une réécriture sans augmentation nette du poids de l’ouvrage. Cette obsession à la minceur a presque totalement disparu du discours public aujourd’hui. Pourtant, de réforme en réforme – il n’en manque pas –, la morphologie du Code du travail continue d’évoluer, sans que l’on se figure toujours dans quel sens ni dans quelles proportions. Pour mettre ses idées au clair, rien de mieux que les indicateurs de suivi de l’activité normative publiés par le secrétariat général du Gouvernement.

Une hausse modérée du nombre d’articles depuis la recodification

L’indicateur ne fournit que très peu d’interprétations possibles au soutien des données brutes qu’il présente. S’agissant du nombre d’articles du Code du travail, une précision utile est néanmoins fournie : le passage de 5 000 à plus de 10 000 articles au tournant des années 2008 et 2009 s’explique, bien évidemment, par la recodification menée à l’époque. Mais l’aspect le plus intéressant tient dans la relative stabilité du nombre d’articles enregistrée depuis : de 10 177 en 2009 à 11 176 aujourd’hui, la hausse est de 9,8 % sur 14 ans. Elle se décompose en deux périodes puisqu’une augmentation continue est mesurée jusqu’en 2017, avec en point d’orgue la loi Travail de 2016 [L. n° 2016-1088, 8 août 2016], avant une décrue entamée sous le premier quinquennat Macron, qui s’est interrompue en 2021, sans retour à ce stade au point haut de 2017.

Indicateurs de suivi de l’activité normative 2023, p. 29.

Force est de constater que la loi Travail, qui prétendait entamer une phase de simplification menant à la réduction de la taille du Code du travail, a été le dernier texte à très substantiellement en augmenter le nombre d’articles. Le schéma en trois temps (ordre public/champ de la négociation/dispositions supplétives) appliqué à la durée du travail a produit des subdivisions dans un objectif de « compartimentation », qui auraient tout aussi bien pu faire l’objet d’articles moins nombreux mais plus volumineux. Les ordonnances Macron de 2017 se sont quant à elles traduites par une diminution du nombre d’articles. L’explication tient sans doute à la fusion des institutions représentatives du personnel sous la forme du seul comité social et économique [Ord. n° 2017-1386, 22 sept. 2017, art. 1er et s.], qui a fait disparaître plusieurs pans de Code devenus obsolètes, consacrés aux délégués du personnel, à la délégation unique du personnel et surtout au comité hygiène, sécurité et conditions de travail.

Depuis, la stabilité observée pourrait s’expliquer par le fait que les nombreux changements apportés ont moins eu vocation à ajouter au Code du travail, qu’à le modifier en s’appuyant sur des dispositifs juridiques existants et déjà codifiés. La trace de ces démarches figure dans les études d’impact, qui documentent les nombreuses retouches apportées, une bonne part d’abrogations, mais un taux finalement assez limité de créations ex nihilo.

Remarque

C’est par exemple le cas dans la loi Avenir professionnel [L. n° 2018-771, 5 sept. 2018], texte touffu qui n’ajoute pourtant qu’un nombre raisonnable d’articles, à travers notamment des chapitres sur France Compétences, le financement de la formation professionnelle, les certifications ou la mesure des écarts de rémunération entre femmes et hommes.

En parallèle, un texte comme la loi Climat et résilience, dans son chapitre sur l’adaptation de l’emploi à la transition écologique [L. n° 2021-1104, 22 août 2021, art. 40 et s.], aurait pu être porteur de nouveautés substantielles pesant sur la structure du Code. S’en tenant à des ambitions modestes, le législateur a sans surprise accouché d’un résultat très maigre en termes de volume. Quant aux mesures prises au long de la crise du Covid-19 (activité partielle, précisions d’ordre sanitaire) ou à sa suite (pouvoir d’achat), elles n’ont peu ou pas fait l’objet de codification, étant donné leur caractère par essence temporaire.

Un Code du travail toujours plus loquace

La lecture des chiffres du secrétariat général du Gouvernement recèle ensuite une surprise, quand survient le décompte du nombre de mots. Si du côté des articles, la hausse est contenue à 9,8 %, sur la même période de 2009 à 2023, une augmentation de plus de 42 % du nombre de mots est observée (de 745 843 en 2009 à 1 065 604 en 2023). La variation 2016-2017, qui correspond à la loi Travail, est la plus importante (+63 146 mots),  mais elle s’intègre dans un mouvement de croissance continue. Le texte porté par Myriam El-Khomri, avec son architecture prétendument simplificatrice en trois niveaux, s’avère ambigu dans son rapport à la taille et au poids du Code : il est possible à la fois de rechercher (maladroitement) la clarté, d’augmenter le nombre d’article à cette fin en jouant sur un effet de classement, tout en se montrant volubile pour sécuriser avec précision les multiples exceptions instaurées.

Indicateurs de suivi de l’activité normative 2023, p. 31.

Difficile, sans procéder à étude détaillée du contenu des textes, de proposer une réflexion systémique sur ce qu’il faut bien qualifier de tendance au bavardage. Notons quand même que ceux qui s’adonnaient à la grossophobie à l’encontre du Code du travail ont, en tant que membres de la majorité, participé à (ou à tout le moins laissé advenir) sa prise de poids ces dernières années, après une recodification en forme de régime. Il semble que ces kilos en trop ne soient plus vraiment perçus comme un problème aujourd’hui, ce qui interroge sur leur fonction : autrefois stigmates infamants (sans réflexion aucune sur leur contenu), ces bourrelets feraient-ils désormais figure de mal nécessaire ?

Ce constat invite à s’interroger sur ce qui distingue la logorrhée inacceptable du papotage légitime. Parmi les clés de lecture possibles, on notera d’abord que la production normative peut servir d’instrument pour l’instauration d’un environnement « pro-business », à rebours de l’idée selon laquelle le libéralisme serait synonyme d’allègement réglementaire. Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, les exceptions au repos dominical portées par la première loi Macron [L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 241 et s.], constituent des ajouts prolixes textuellement au bénéfice des employeurs concernés. En parallèle, certaines constructions normatives paraissent imprégnées par la mise en scène d’un volontarisme qui cherche à pallier les difficultés à agir concrètement sur le réel. Il en va ainsi du régime de l’index égalité femmes-hommes [C. trav., art. D. 1142-2 et s.], dont la minutie est dénoncée comme une contrainte par les petites entreprises mais qui se mue en opportunité d’altération des résultats pour les grandes, l’inspection du travail ne portant qu’un regard lointain, faute de moyens. On pourrait aussi s’attarder sur la politique de lutte contre la désinsertion professionnelle (promue par la loi Santé au travail [L. n° 2021-1018, 2 août 2021, art. 18 et s.]), dont les effets promis semblent à tout le moins illusoires dans le contexte d’une médecine du travail dotée de moyens constants, voire déclinants.

Enfin, il est sans doute absurde d’imaginer qu’un monde du travail toujours plus complexe, soumis à des bouleversements aussi divers que la transition écologique ou l’intelligence artificielle, puisse faire l’économie d’un cadre juridique un tant soit peu détaillé. Garder à distance le débat sur la lourdeur du Code du travail est donc plus que jamais une nécessité : la clarté rédactionnelle, la question des objectifs et celle des besoins auxquels répondent les textes doivent demeurer les principales boussoles du commentaire juridique.




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Après plus de quatre ans à couvrir l’actualité du droit social pour Social Pratique, j’ai créé cet espace de réflexion sur ce que m’inspire le droit du travail, ce qu’il donne à observer, et ce qu’il dit de nous.

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