L’humeur
Sensibiliser et communiquer, mais sans vraiment rendre visible. Tel est le paradoxe de la campagne lancée cette semaine par le ministère du Travail dans le cadre de son plan de prévention des accidents du travail graves et mortels. L’initiative, une première du genre, est à saluer et s’inscrit à la suite d’un mouvement de médiatisation plutôt inédit du phénomène auprès du grand public (on pense au compte twitter et au livre de Matthieu Lépine, ou à un numéro de « Complément d’enquête »).
Reste que les 45 secondes du spot télévisuel laissent une impression étrange, à la fois réalistes et chimériques, l’environnement industriel côtoyant un ralenti vaporeux, l’effroi des acteurs se portant vers une situation qui demeure hors-champ. Un choix que les collectifs de familles de victimes saluent pour sa dignité, mais qui a pour effet d’éluder les questions du contexte, de la cause, et surtout de la responsabilité. De cette dernière, il est tout-de-même question dans le slogan retenu : « Responsabilité de l’entreprise, vigilance de tous ». Des mots qui, là aussi, énoncent sans véritablement désigner, la figure insaisissable de l’entreprise (les juristes le savent bien) prenant la place de celle de l’employeur, et les parties prenantes étant mentionnées sans distinction ni hiérarchie de leurs implications respectives.
Cet activisme ministériel interroge, enfin, sur le silence entretenu quant à la réduction des capacités de contrôle de l’inspection du travail, comme si l’administration ne faisait pas partie de l’équation. Mais aussi sur les causes plus systémiques de l’accidentologie au travail, en particulier la précarité des emplois (sous-traitance le cas échéant en cascade, intérim, détachement, jeunes travailleurs), pointée comme facteur de risque par le dossier de presse, mais considérée comme un état naturel des choses, au sujet duquel aucune action politique concrète n’est envisagée.
Chanter le travail
Camille et Maud – L’économie du plein emploi (sur l’album Camille et Maud, 2017)
« À quoi peut bien nous servir l’économie du plein emploi ? », telle est l’interrogation que formule le toulousain Camille Bénâtre (accompagné par Maud Octallinn) dans ce morceau de folk lumineux de moins de deux minutes – mais en faut-il plus pour dire l’essentiel ? C’est que, de pure virtualité à la sortie du morceau en 2017, le plein-emploi s’est mué depuis en horizon prétendument atteignable, au point de devenir un objectif politique. L’idée glissée dans cette chanson selon laquelle « l’oisiveté est un luxe et l’ennui un exploit » prend désormais brutalement consistance. Si l’on ne niera pas ici le rôle social du travail, ni la possibilité d’y trouver un épanouissement, avouons que la participation forcenée à son « marché », qui nous est promise ces jours-ci, a de quoi serrer le cœur d’artichaut qui n’aspire qu’à effleurer des cheveux de ses doigts, caresser des chats et garder du temps pour ceux qui ne seront pas toujours là…
À lire
- « Pilotage par les résultats à Pôle emploi : des effets divers à la main des acteurs », Emmanuelle Gurtner et Marion Soulerot, Action publique – Recherche et pratiques n° 17, 2023/2 [Accès libre]
La création prochaine de France Travail ne devrait pas changer grand-chose au pilotage par les résultats déjà pratiqué chez Pôle emploi. Une politique typique du « new public management » analysée avec rigueur dans cet article de recherche, qui tend surtout à démontrer le caractère pour le moins aléatoire des effets produits par ces instruments théoriquement rationnels.
- « Congés payés : la remise en ordre du droit français », Semaine Sociale Lamy n° 2060, 25 septembre 2023 [Abonnés]
La Semaine Sociale Lamy consacre un dossier aussi attendu qu’indispensable aux arrêts de la Cour de cassation qui se sont attaqués à la conformité du régime français des congés payés avec le droit de l’Union Européenne. L’entretien avec Jean-Guy Huglo est particulièrement éclairant quant aux effets de la cécité et de l’inaction du législateur, qui laisse perdurer un motif contentieux désormais périlleux, alors que la piste d’un encadrement du droit au report des congés sur 15 mois semble une option crédible.
- « Bas salaires rattrapés par le smic et coût exorbitant pour les finances publiques : les conséquences de deux ans d’inflation », Aline Leclerc et Thibaud Métais, Le Monde, 28 septembre 2023 [Abonnés]
Une synthèse accessible et éclairante sur le tassement salarial induit par l’inflation. Grilles en retard perpétuel, allègements de cotisations proportionnellement élargis, sentiment de déclassement, bonne ou mauvaise foi sur la faisabilité d’un mécanisme de conditionnalité ; bref, de quoi clarifier les termes du débat à l’approche de la conférence sociale, qui aura pour premier enjeu la délimitation du périmètre des discussions.
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À écouter
« La vie du salarié dans le monde associatif est-elle enviable ? », Simon Cottin-Marx, Orientation durable, 21 septembre 2023 [Accès libre]
La cabinet de recrutement Orientation durable, spécialisé dans l’économie sociale et solidaire, consacre une série de podcasts au sens du travail dont la dernière parution donne la parole à Simon Cottin-Marx, sociologue du travail associatif. Et de sens, il est largement question dans cet échange qui permet d’entrevoir combien la cause, puissant moteur de l’engagement, peut conduire aussi à des formes d’aliénations qui, si elles s’expriment dans des registres différents, n’ont rien à envier à celles produites par les entreprises capitalistes classiques.
La citation
«Revenir sur le principe considérant que les congés payés s’acquièrent en fonction des périodes travaillées, serait totalement incompréhensible. Et inacceptable. »
Confédération des petites et moyennes entreprises, communiqué de presse, 25 septembre 2023
Les arrêts de la Cour de cassation sur l’acquisition des congés payés durant les périodes de suspension du contrat pour arrêt maladie n’ont pas surpris grand monde, à l’exception de la CPME, si l’on en juge par son communiqué outragé. On comprend aisément que les conséquences économiques des décisions de la chambre sociale posent difficulté au patronat ; on reste par contre quelque peu interdit devant les qualificatifs utilisés à propos de ce qui n’est jamais qu’une application des règles européennes : « incohérence juridique », « incompréhensible », « inacceptable », et pour finir « grand n’importe quoi », la situation étant par ailleurs qualifiée « d’imbroglio juridique causé (…) par Bruxelles » (un imbroglio vieux de 20 ans, ça laisse pourtant le temps de réfléchir). Surtout, on sent poindre une imperméabilité totale à l’idée selon laquelle le droit à congé relève de la protection efficace de la sécurité et de la santé du salarié, et d’un indispensable droit au repos, qui ne se confond pas avec l’arrêt de l’activité qui survient pour une cause indépendante de la volonté du salarié, comme en cas de maladie.
À voir
Canicule au travail, Journal A2 20H, 6 juillet 1976
On se rapproche dangereusement de l’anniversaire des 50 ans de ce reportage, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces cinq minutes troublantes versées aux archives INA donnent l’impression qu’on n’a pas beaucoup avancé entre temps (même si les bus sont désormais climatisés). Signalons qu’après avoir fait l’autruche cet été, le ministère du Travail entame une réflexion sur les arrêts d’activité en cas de non-respect des mesures de protection des salariés face aux fortes chaleurs. Et qu’il faudra s’en contenter.