Considérations sur le travail

Libres propos consacrés au travail et à son droit


De quoi « France Travail » est-il le nom ?

France Travail sera bientôt une réalité, succédant à Pôle emploi après tout juste 15 ans d’existence. L’heure de quelques conclusions hâtives à propos de ce nouveau baptême.

Petit ange parti trop tôt, Pôle emploi s’éteindra dans quelques semaines pour devenir France Travail. Ainsi en a décidé la commission mixte paritaire réunie pour finaliser le contenu du projet de loi « Plein emploi », qui a rendu son verdict le 24 octobre dernier (le texte devrait sans difficulté être adopté par les deux chambres). Un temps écartée par les sénateurs, la nouvelle dénomination, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, s’est frayée un chemin jusqu’à la version finale du texte. Face aux motivations nébuleuses du projet et au sentiment de jour sans fin à la lecture des archives de 2008, une exégèse de marketing politique s’impose.

Méthodes de la politique publique du naming

Car ce qui frappe en s’intéressant au sujet, c’est d’abord l’étrange parallélisme des cheminements intellectuels. De 2008 à 2023, même prétention à embrasser plus large (fusion Assédic/ANPE ; guichet unique plus élargi encore) ; même promesse d’un accompagnement renouvelé ; mais surtout, même parole présidentielle aux effets performatifs. On se souviendra en effet qu’en 2008, la nouvelle dénomination, choisie par l’Élysée après plusieurs mois d’atermoiements, avait été simplement validée par le conseil d’administration de ce que l’on appelait alors « l’instance nationale provisoire » (lequel avait préféré s’abstenir de voter pour éviter tout risque de camouflet). En 2022, c’est sous une forme plus impulsive mais tout aussi verticale qu’Emmanuel Macron avait dévoilé, en plein discours de campagne présidentielle, le nom et les principes de fonctionnement de ce « France Travail », concrétisé cet automne.

Au plan juridique, on notera toutefois une différence : la montée en puissance de l’institution sur les parois de la hiérarchie des normes. Car « Pôle emploi », en 2008, assumait sa nature de simple patronyme marketing à accoler à une institution nouvelle. En conséquence, il n’avait été traduit, dans un premier temps, que dans des décrets [C. trav., art. R. 5312-31 ab.], l’agence du service public de l’emploi restant qualifiée du très neutre « institution » dans la partie législative. Depuis, la dénomination Pôle emploi s’est imposée jusqu’au légal par touches successives, comme en témoigne l’article 5 de la loi « Plein emploi » qui détaille les occurrences de son remplacement par le terme « l’opérateur France Travail ».

Reste à faire suivre l’intendance. En 2008 déjà, le coût de la création du nom (quelques 135.000 €) avait fait polémique, d’autant qu’en réalité, c’étaient quelques 500.000 € qui auraient été déboursés au final, logo compris. Cette fois, et jusqu’à preuve d’une intervention d’un stagiaire de McKinsey, le nom aura seulement coûté un peu de matière grise dans une équipe de campagne. Il en ira différemment des dépenses induites par le changement d’identifié visuelle, puisque des vitrines d’agences aux en-têtes de courriers, en passant par les sites internet, tout devra être renouvelé, occasionnant certainement quelques polémiques sur les montants décaissés.

Logos de l’Agence nationale pour l’emploi à travers les âges (2003, 1993, 1989)

De l’emploi au travail, reste le marché

Et le fond, alors ? Difficile de ne pas voir derrière ces bricolages une volonté de marquer un changement d’époque en renommant une institution longtemps synonyme du chômage de masse pour en faire le support d’une logique de « workfare ». Un regard dans le rétroviseur permet d’abord de constater l’obsession pour l’emploi qui se manifestait en 2008. Les articles d’époque nous apprennent par exemple que l’acronyme Noé (pour « nouvelle organisation pour l’emploi ») ou le plus métaphorique Tremplin (recyclé pour qualifier des contrats à durée déterminée) avaient concouru dans les cabinets ministériels, de même que … France Emploi ! C’est finalement « Pôle emploi » qui avait tiré son épingle du jeu, l’agence lauréate, Nomen, expliquant doctement sur son site internet qu’il s’agissait d’en faire « le lieu où les démarches pour l’emploi convergent, dans une dynamique positive », et précisant que le mot « pôle » répondait à l’idée d’un « lieu d’attraction dans le domaine de l’emploi ». Le vocable retenu ne cachait pas cette vocation d’espace de rencontre entre offre et demande sur un marché, proposition contestable mais assumée.

Le basculement vers « France Travail » écarte aujourd’hui l’emploi de l’équation au profit du travail, qui n’avait même pas été envisagé il y a 15 ans. Interrogé par le site Stratégies, le fondateur de la même agence de communication Nomen y voit un signal de l’existence de contreparties aux aides. Il est vrai qu’on a cru comprendre que la réforme cherchait à remettre au travail pour réinsérer plutôt que l’inverse, politique visant en particulier les allocataires du RSA, sans forcément que cette démarche soit synonyme d’un retour à l’emploi puisque la nature des heures d’activité dont il sera tenu compte n’est pas définie par l’article 2 de la future loi et s’annonce fort diverse. Pôle emploi a aussi pris l’habitude d’orienter nombre de ses usagers vers l’entrepreneuriat individuel, soit là encore un travail à n’en pas douter, mais pas vraiment un emploi, en tous cas pas un emploi salarié.

Remarque

La dénomination « France Travail » s’inscrit dans la lignée de plusieurs dénominations récentes, tel l’opérateur « France Compétences », dont une dirigeante d’agence de communication toujours citée par le site Stratégies, nous indique qu’elle vise à « réasseoir la marque France ». Plus prosaïquement, les départements et les régions s’intègrent à l’édifice qui mobilise donc largement la France, au sens institutionnel du terme.

Faut-il déceler dans ce changement de nom une évolution de la nature des politiques de l’emploi ? Sur fond de célébration de la perspective du plein emploi, il semble loin le temps où la communication politique acceptait l’idée que le manque de postes disponibles rendait les chômeurs victimes de la situation. L’heure est aujourd’hui, devant la prétendue profusion d’emplois non pourvus, à la culpabilisation et au placement. D’où un service public qui n’aurait plus tant vocation à agir pour aider les individus à rechercher des emplois, ces derniers étant nombreux donc aisément trouvables ; mais qui s’orienterait plutôt vers une action sur le travail lui-même, façonnant le chômeur pour le rendre disponible et … employable, cultivant le facteur travail nécessaire au bon fonctionnement de l’économie. En arrière plan, le marché n’a pas disparu, bien au contraire : mais les inadéquations qu’il donnait à voir ne sont plus une fatalité, et tout un système (jusque dans le temps scolaire et la formation initiale) s’agence pour l’alimenter en fonction de ses besoins en travail. Son caractère florissant se concevant désormais sur le mode patriotique, bien peu de cas sera fait, dans le rapport d’enrôlement qui se dessine, pour l’expérience concrète et sensible vécue par les travailleurs eux-mêmes. La France travaille ; mais dans quelles conditions ?




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À propos

Après plus de quatre ans à couvrir l’actualité du droit social pour Social Pratique, j’ai créé cet espace de réflexion sur ce que m’inspire le droit du travail, ce qu’il donne à observer, et ce qu’il dit de nous.

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