L’humeur
Soyez-en sûrs, chers observateurs du droit social : on ne sera jamais tranquilles plus de cinq minutes. Tout juste le temps d’enregistrer l’entrée en vigueur d’une réforme des retraites qui a un chouilla tendu le pays, de transposer un ANI sur le partage de la valeur, d’activer les pas-assez-actifs avec une loi qui transfigure au passage le service public de l’emploi, sans oublier un peu de bagarre sur le régime de l’assurance chômage, et voilà que la pompe se réamorce, car les Shadoks de la réforme se remettent sans cesse à l’ouvrage.
On a déjà dit ici combien le plein emploi, loin de représenter un idéal de prospérité, pouvait servir de prétexte à une approche répressive. À peine le temps d’y réfléchir sérieusement qu’il s’éloigne à nouveau. Mais la perspective d’une courbe peu flatteuse justifie soudain un régime minceur en direction des droits sociaux, dans une séquence de communication classique : le Président de la République exhorte tout le monde à se réveiller et rappelle que tel un cycliste risquant de perdre l’équilibre à l’arrêt, il doit réformer pour exister (pourtant, des techniques existent) ; le ministre de l’Économie embraye en ne comprenant pas pourquoi les seniors sont indemnisés plus longuement au chômage ; Matignon laisse fuiter ses réflexions en cours sur la rupture conventionnelle et l’insupportable flux d’entrées à Pôle emploi qu’elle représenterait ; ne manque plus que l’avis du ministre du Travail, quand son emploi du temps sera un peu plus dégagé.
Le Monde a beau jeu, face à cette rafale de propositions, de s’interroger sur le devenir de la flexisécurité macroniste. C’est sans doute méconnaître que la défaite du mouvement social contre la réforme des retraites laisse un terrain ravagé dans lequel l’exécutif peut avancer sans avoir à contrebalancer la flexibilité par la sécurité. C’est oublier aussi cette tendance tenace chez nos gouvernants, face à toute politique qui donne des signaux de faiblesse, à aller plus loin encore. Il est vrai qu’indexer la réussite de son action sur le taux de chômage, influencé par des variables d’une infinie diversité, est un pari risqué. Reste qu’une politique menée le nez dans les indicateurs, gouvernance par les nombres oblige, implique de rester aveugle aux réalités du vécu des salariés. Si bien que ce qui avait été vendu au printemps comme un futur « pacte de la vie au travail » dans une optique d’apaisement, prend déjà la forme d’un futur impact sur la vie au travail, autrement plus cinglant.
Chanter le travail
Dominique A – Le travail (sur l’album La Mémoire neuve, Lithium, 1995)
Quelque part entre les chansons sur la flemme de travailler et celles sur la glorification du travailleur, sans doute que ce morceau de Dominique A (accompagné par Françoiz Breut) occupe une place singulière en forme de chanson du chômage de masse. Dans une urgence décharnée qui caractérise ses productions de l’époque, le nantais prend avec son ironie mordante la place d’une particule vibrionnante sur le marché de l’emploi : chercher (en solitaire), trouver (encore plus en solitaire), prendre la place d’un autre, avouer une motivation bassement matérialiste (comme un « appartement trop grand »), affronter ou se laisser gagner par la fatalité.
Le chiffre
1209 %
… comme l’augmentation de la rémunération des CEO américains entre 1978 et 2022, ajustée de l’inflation, contre un nettement plus modeste 15 % pour le travailleur américain moyen, selon l’Economy Policy Institute. Mais l’étude ne s’arrête pas là. Car cette augmentation vertigineuse est aussi 2,5 fois plus rapide que celle … des 0,1 % des salariés les mieux payés. Ce qui conduit le think tank à tirer la conclusion suivante : contrairement à ce qu’on entend parfois, les émoluments des CEO ne sont pas le résultat d’une prétendue course aux talents, mais tiennent plutôt à une forme de rente de situation qui permet à quelques individus disposant d’un pouvoir exorbitant de soutirer le maximum à des systèmes de gouvernance dysfonctionnels.
À voir

« Le télétravail », Antenne 2 Midi, 19 septembre 1985
Alors, comment dire, y’a un fond de « comme ça les femmes peuvent travailler à la maison » qui est particulièrement malaisant vue de notre époque, mais sinon, c’est quand même super marrant de constater à quel point on n’a pas fondamentalement avancé sur notre perception de ce qu’est le télétravail, ses avantages et inconvénients. Quoique, un truc a bien changé : si on en croit l’image du bureau enfumé en fin de reportage, le télétravail à l’époque devait être un bon moyen d’éviter le tabagisme passif.
À lire
- « Congés payés sur maladie : et si le législateur était fondé à ne rien changer ? », Arnaud Teissier, JCP S, 14 novembre 2023 [Abonnés]
Il faut parfois savoir se faire violence pour aller lire des choses avec lesquelles ont est en désaccord, comme ces libres propos d’Arnaud Teissier qui appelle au statu quo en matière de compilation des congés payés durant les arrêts maladie. Certes, on tique un peu sur la volonté de l’auteur de nous faire entendre que les arrêts rendus en septembre étaient inattendus. Reste que l’argument sur l’articulation avec le régime d’indemnisation de l’arrêt maladie, s’il ne parvient pas à nous convaincre, nous invite à penser la question de la mutualisation ou non de cette part nouvelle du risque maladie. Quoi qu’il en soit, la Première ministre a annoncé le 30 novembre une intervention sans « surtransposition ».
- « The Envy Office: Can Instagrammable Design Lure Young Workers Back ? », Emma Goldberg, Anna Kodé, The New York Times, 26 novembre 2023 [Abonnés] [En anglais]
Jamais en retard d’une tendance improbable du monde de l’entreprise, le New York Times fait découvrir dans ce papier la dernière idée pour donner envie aux gens de revenir au bureau : en faire un lieu tellement stylé que vous pourrez frimer avec sur les réseaux sociaux. Car après avoir été rendu cool pour qu’on soit prêts à y passer notre temps de loisir, le bureau doit désormais contribuer au fonctionnement des récepteurs de dopamine qui s’activent chaque fois qu’on reçoit un like sur un réseau où l’on a fait étalage de sa vie ; sans plus de réflexion que ça sur les conditions de travail, dimension qu’heureusement, ce papier n’élude pas.
- « Grille de classification : L’heure des ajustements dans la métallurgie », Anne Bariet, actuEL-RH, 20 novembre 2023 [Accès libre]
ActuEL-RH fait le point sur la dernière ligne droite avant l’application de la convention collective de branche de la métallurgie, et détaille les enjeux à grand renfort de témoignages éclairants. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les services RH comme les représentants du personnel ne vont pas chômer (en particulier dans la région toulousaine) et que le sujet, loin de s’éteindre le 1er janvier prochain, semble promis à un bel avenir.
À écouter
« J’avais dit au revoir à tout le monde : le faux départ (à la retraite) », Martine Abat, Les Pieds sur terre, France Culture, 6 septembre 2023
On en avait entendu parler, mais puisque l’emploi des seniors refait la une de l’actualité, c’est sans doute le bon moment pour écouter sans filtre ce qu’éprouvent les salariés qui bénéficiaient d’une forme de préretraite (que leur employeur avait été bien content de leur accorder pour s’en débarrasser) et que la réforme intervenue au printemps a obligés à devoir envisager un retour au boulot. Un format à combiner avec une lecture plus juridique du sujet, et, on l’espère, avec bientôt des détails sur comment ça se passe concrètement (sans grande surprise, l’arrêt maladie pour la durée du temps à combler semble être l’option la plus plausible).