L’humeur
Ces quelques mots vous parviennent, selon l’expression consacrée, durant la « trêve des confiseurs », cette période entre Noël et nouvel an où les repas de famille se multiplient, où les invectives de la vie politique baissent d’un ton, et où les valeurs boursières ralentissent leurs fluctuations. Comme nous l’indique un petit billet trouvé chez France Inter cette semaine, la trêve ne concerne certainement pas les confiseurs eux-mêmes, lesquels ont, avec les pâtissiers et les chocolatiers, pris le relais des livreurs de colis dans le registre de ce que l’on pourrait qualifier d’hyperactivité économique capitaliste ritualisée du mois de décembre.
On l’aura compris, la trêve des confiseurs, locution issue de notre vie politique, n’a rien d’une règle de droit du travail qui s’appliquerait en matière de fixation des congés payés, d’heures supplémentaires imposées pour cause de carnet de commande qui déborde, de CDD pour accroissement d’activité, ou de jours fériés travaillés. Ce qui ne veut pas dire que les textes applicables manquent toujours de poésie, ou de ce caractère joliment désuet qui donnera le sourire même aux juristes les plus austères.
Puisqu’on parle bûches et bientôt galettes des Rois, prenez par exemple la convention collective de la boulangerie-pâtisserie. Son article 18 prévoit que le salarié régulièrement embauché et qui se présente à l’heure dite au travail pour y être finalement décommandé recevra une indemnité égale à huit heures du salaire minimum conventionnel, qui porte le doux nom d’indemnité de « chou blanc ». Bien que l’expression n’ait, a priori, aucun rapport avec les choux à la crème, elle réjouira autant les fins gourmets de la langue juridique française imagée, que ceux soucieux de protéger les salariés face à des pratiques dignes des contrats « zéro heure ».
Puisque je n’aurais jamais eu connaissance de cette stipulation si je n’avais pas passé de longues heures à discuter avec lui il y a quelques années, je remercie Robert et lui souhaite, ainsi qu’à tous les lecteurs – fidèles ou de passage – de ce site, une bonne année 2024.
Message de service
En raison des divers engagements de son rédacteur, Considérations sur le travail devrait tourner au ralenti tout au long du mois de janvier.
À écouter
« Conducteurs de nuit », Marlis Besserie, Vanessa Nadjer, Sur les docks, France Culture, 1er avril 2011
Cette période des fêtes où personne ne semble vraiment travailler a le mérite paradoxal de mettre un peu plus en lumière que le reste de l’année ceux qui assurent la continuité de nos sociétés, des hôpitaux aux « usines à feu continu ». Au plus près de la subjectivité de ceux qui pilotent des moyens de transport à des heures impossibles, ce documentaire permet d’approcher le travail de nuit, cet interstice à contre-temps de la vie sociale commune.
À lire
- « Nous ne sommes pas des esclaves : en Champagne, les saisonniers des vendanges, ces damnés du terroir », Ishaq Ali Anis , Jeevan Ravindran , Robert Schmidt, Stéphanie Wenger Le Monde, 11 décembre 2023 [Abonnés]
Les fêtes sont synonymes d’une consommation importante (et parfois excessive) de champagne. Un breuvage associé plus volontiers au luxe à la française qu’à l’exploitation et à la misère sociale, et pourtant : après plusieurs décès lors des vendanges caniculaires cette année, Le Monde a mené l’enquête et lève le voile sur des pratiques révoltantes, entre exploitants peu regardants, intermédiaires sans scrupule et travailleurs étrangers pris au piège.
- « This Year’s Office Holiday Party Is Downsized », Wall Street Journal, 12 décembre 2023 [Accès libre via msn.com] [En anglais]
On ricane un peu (mais pas tant que ça) devant cette fresque des pratiques d’entreprises pour les fêtes de fin d’année. Un temps vouées aux retrouvailles d’après-Covid, ces sauteries connaissent une forme de désaffection, qui n’exclut pas les paradoxes : personne n’a envie d’y aller, mais tout le monde se plaindrait qu’elles n’aient pas lieu.
- « Projet de création d’un compte épargne-temps universel », François Carayon, Sandra Desmettre, Frédéric Lavenir, Véronique Martin Saint Léon, Jean-Michel Mougeard, Rapport IGF/Igas/IGA, décembre 2022 [Accès libre]
Pas d’erreur de typo sur la date : ce rapport n’a été rendu public qu’avec un an de retard, et servira de cadeau (empoisonné ?) de Noël aux négociateurs qui s’attaquent au sujet du compte épargne-temps universel, mais aussi au Président de la République qui en avait fait la promesse. Il faut dire que les obstacles ne manquent pas : quel périmètre pour répondre au vœu d’universalité ? Quelle adaptation aux CET déjà existants ? Et surtout quelle articulation entre les droits compilés et les contraintes de gestion de l’employeur ? Alors que la négociation s’annonce difficile, force est de constater que la mutualisation, comme l’union, est un combat…
À voir

« Sorties d’usine », Cycle de projections, La Cinémathèque de Toulouse, du 11 janvier au 13 mars 2024
Le père Noël a apporté un bien beau cadeau aux toulousains (de résidence ou de passage) puisque la Cinémathèque diffusera ces deux prochains mois un riche cycle intitulé « Sorties d’usine ». Autant de films qui ne devraient pas faire l’économie de la question du travail, et qui annoncent des moments de cinéma passionnants. On reparlera ici, à n’en pas douter.
Le chiffre
10,9 %
… comme le taux d’exonération (soit le ratio entre le montant des cotisations exonérées et la masse salariale) du secteur privé en 2022, selon l’Urssaf dans des données publiées l’été dernier. Un chiffre record à comparer avec les 5,1 % atteints en 2012. Il faut dire que deux effets se conjuguent pour atteindre ces sommets : d’abord, 10 ans de politiques de compétitivité par les coûts ayant largement étendu les dispositifs d’exonérations (une politique régulièrement qualifiée de « cadeau aux entreprises », pour rester dans la thématique Noël) ; puis, plus récemment, le retour d’une inflation qui, entraînant avec elle le Smic, a provoqué un tassement des grilles salariales, aspirant de plus en plus de salariés vers des niveaux où se déclenchent ces exonérations. Sur l’année 2022, l’effet est édifiant : alors que la masse salariale du secteur privé était en hausse de 8,7 %, le montant global des exonérations accordées augmentait lui de plus de 13 %.
Chanter le travail
Michel Cloup, Pascal Bouaziz, Julien Rufié – Les Bulots (sur l’album À la ligne – chansons d’usine, Ici d’ailleurs, 2020)
Des fruits de mer peuplent probablement votre table de réveillon. Mais avant ça, ils sont passés par des chaînes de production dont chacun sait quelle violence elles infligent à ceux qui les font fonctionner, producteurs comme produits. En mettant en son « À la ligne » du regretté Joseph Pontus, Michel Cloup et Pascal Bouaziz nous entraînent dans cet univers de brutale répétition, dont on sort l’appétit et le souffle coupés.