L’humeur
Amateur et pratiquant assidu de la métaphore saisonnière, votre serviteur a été quelque peu décontenancé d’observer que ses manies (qui a dit « facilités » ?) stylistiques avaient été employées sans retenue par le Premier Ministre Gabriel Attal pour égrainer, dans Le Parisien daté de dimanche dernier, son agenda de réformes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les travaillistes qui espéraient passer une année 2024 tranquille en sont pour leurs frais. Le dérèglement climatique modifiant manifestement les cycles d’intervention sur le droit social, le rythme de la récolte devient pluriannuel.
Dès le printemps c’est le leitmotiv de la simplification qui devrait bourgeonner, dans la filiation de la loi Macron de 2015 ou de la loi Pacte de 2019 (selon quelle bouture aura la préférence du marketing politique). Le texte pourrait contenir des mesures drastiques relatives aux seuils sociaux et aux délais de contestation, s’en prendre à la base de données économiques sociales et environnementales, ou autoriser les jeunes entreprises à s’exonérer des conventions collectives de branche. Il est vrai que les normes ont, ces temps-ci, aussi bonne presse que la mauvaise herbe, mais le traitement proposé ressemble à l’épandage d’un pesticide qui éradiquera la biodiversité des acquis sociaux plus sûrement que la complexité nuisible. Suivra un « été social », dont on croit comprendre qu’il sera l’occasion de pousser le sujet de la solidarité à la source, principe louable à la mise en œuvre nettement plus aride.
Un autre gros morceau viendra plus tard encore, avec le retour des cartables et des feuilles mortes, dans le cadre d’un « automne du travail » qui provoque déjà quelques sanglots longs. Les contours du futur projet de réforme du marché du travail sont encore imprécis, mais on a cru comprendre que la « désmicardisation » serait à l’ordre du jour. S’il faudra surveiller le sujet des exonérations de cotisations, la douche froide attend ceux qui espèreraient encore une politique volontariste en matière de salaires, l’exécutif semblant plus enclin à jouer la carte bien connue du « quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console », en portant son attention sur les demandeurs d’emploi et les allocataires de minima sociaux. Boucs-émissaires de la période, la remise en cause de leurs maigres ressources devrait contribuer à creuser le fossé qui les sépare de ceux qui, à peine mieux lotis, ont à subir des politiques salariales austères dont rien n’indique qu’elles évolueront.
Tout cela suffira-t-il pour échapper à une réforme supplémentaire, l’hiver venu ? Rien n’est moins sûr, à la vue de la météo économique. Car quand le chômage baisse et la croissance fleurit, il faudrait s’empresser de réformer ; puis quand le chômage augmente et la croissance flétrit, il semble nécessaire de réformer plus fort encore. Que voulez-vous : pour le droit du travail, « y’a plus d’saisons ».
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À voir
« La reprise du travail aux usines Wonder », Jacques Willemont, 1968
Le cycle « Sorties d’usine » bat son plein à la cinémathèque de Toulouse. Parmi les choses vues – et souvent appréciées – en salle obscure, une femme crève l’écran : celle qui s’exprime dans la séquence « La reprise du travail aux usines Wonder » tournée par des étudiants de l’IDHEC en 1968. Décrire ce moment de cinéma direct risque fort de ne pas lui rendre justice. Disons simplement que l’aliénation vécue au travail s’y exprime avec une intensité extraordinaire ; que l’on y est témoins, tels des ethnologues involontaires, du fonctionnement d’un monde aujourd’hui largement disparu ; et qu’à cet instant décisif, on découvre de quel côté de la barricade se rangent les uns et les autres. À noter que ces 10 minutes peuvent être utilement complétées par le visionnage du précieux « Reprise », documentaire choral prétextant la recherche de cette femme révoltée pour donner la parole aux protagonistes et raconter cette scène, autant que le travail.
À lire
- « Rendre des heures aux Français : 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises », Rapport parlementaire, 15 février 2024 [Accès libre]
Plutôt que de me lire me plaindre sur les projets de simplification, jugez sur pièce ce que préparent les parlementaires de la majorité, et faites-vous votre avis.
- « Élysée : Pierre-André Imbert, un architecte du macronisme, s’envole pour l’Australie », Emmanuelle Souffi, L’Obs, 22 décembre 2023 [Abonnés]
Un portrait rapide de Pierre-André Imbert et de son parcours, pas inutile à l’heure où il ne devrait plus (enfin, plus directement en tous cas) tenir la plume des prochaines réformes en droit du travail.
- « Morts au travail : l’hécatombe », Le Monde (série), février 2023 [Abonnés]
Le Monde a consacré début février une série passionnante aux accidents du travail mortels. Riches de nombreux exemples, et s’attardant là où résident les causes les plus structurelles (déficit d’accompagnement des recrues, cadences dangereuses, sous-traitance diluant à l’excès les responsabilités, inspection du travail trop faiblement dotée), ces cinq articles permettent d’aborder l’ampleur du phénomène et de comprendre qu’il tient bien plus aux structures profondes du fonctionnement de nos économies qu’à la « faute à pas de chance ».
Le Chiffre
4
… comme le nombre de jours de travail dans la semaine espéré par certains défenseurs de la réduction du temps de travail. Ils auront toutefois perçu tout le sens de la nuance dont a fait preuve Gabriel Attal dans son discours de politique générale, en louant la semaine « en 4 jours » plutôt que celle « de 4 jours ». Alors que de nombreuses réflexions pointent les problèmes liés à l’intensification du travail, la formule très condensée mais nullement allégée prônée par le Premier Ministre s’avère une réponse plus sournoise que progressiste aux attentes.
À écouter
« Les dames de l’algorithme », Xavier de La Porte, Le code a changé, France Inter, 19 janvier 2024
Un peu lent à démarrer, cet épisode du podcast « Le code a changé » est passionnant dans ce qu’il raconte du travail humain qui se cache derrière les intelligences artificielles, sans compter qu’il s’intéresse à l’anonymisation des décisions de justice, et entretient donc avec la chose juridique un lien étroit. On regrettera seulement que les « dames de l’algorithme » n’aient pas l’occasion de s’y exprimer directement.