Considérations sur le travail

Libres propos consacrés au travail et à son droit


Considérations (Ép.10)

L’humeur

On savait, depuis un livre devenu célèbre, que les activistes écologistes s’intéressaient à la bonne manière de saboter un pipeline. Mais c’est un autre sabotage, tout à fait légal, qui nous occupait ces derniers jours : celui de la négociation nationale interprofessionnelle sur le « pacte de la vie au travail » par le gouvernement, qui en était pourtant l’initiateur. Pas de cagoules ni de ZAD à l’horizon au ministère du travail ou au siège du Medef, certes, mais une méthode éprouvée qui aura porté ses fruits, dans un contexte où les négociateurs eux-mêmes n’avaient peut-être pas besoin d’autant d’encouragements pour échouer.

Jouer la montre. On ne s’autoproclame pas « maître des horloges » pour rien. Si l’on se rappelle bien, le lancement de cette négociation à l’intitulé ronflant était une manière de faire diversion face à un mouvement social aussi ample que consensuel contre une réforme impopulaire. Se donner d’abord 100 jours pour apaiser (et ne rien en faire), réunir tout le monde pour mettre en scène la reprise du dialogue, puis lancer un agenda social aux allures de calendes grecques, pour ne débuter vraiment la négociation qu’à l’automne… Que ces manœuvres dilatoires soient cyniques ou non, l’atmosphère a bien changé à l’heure de (ne pas) conclure. On a pourtant connu dans notre histoire des mécontentements qui imposaient la négociation immédiate, avec la poursuite du conflit comme menace en cas d’échec. Une ambition devenue illusoire pour des mouvements sociaux trop souvent menés en position défensive.

Encadrer à double tour. Pour éviter toute mauvaise surprise, il est possible de cumuler ce calendrier avec un cadrage serré des échanges. Passé maître dans l’art d’inviter à négocier en décidant par avance des conclusions, l’exécutif avait fixé juste assez de jalons (parmi lesquels l’interdiction de toucher au grisbi public) pour verrouiller le contenu de tout accord potentiel, enterrant au passage toute velléité de discuter de certains sujets, comme la remise en question des ordonnances Macron. Cette technique de la nasse n’aura pas empêché le Medef et la CPME de s’asseoir sur le compte épargne-temps universel, sans qu’aucun ministre ne songe (pour l’instant) à les rappeler à l’ordre.

Perturber les discussions. Si les deux manœuvres décrites ci-dessus ne parviennent pas à brouiller les débats, reste la carte du chien dans le jeu de quilles. Après une séquence « simplification » orchestrée par un Bruno Le Maire (qui tenait manifestement à ce que la CPME puisse se draper dans ses certitudes), le rôle a été endossé par un Gabriel Attal tellement soucieux du dialogue social qu’il programme ses interventions au 20 h de TF1 et ses séminaires gouvernementaux en flagrante interférence avec la négociation en cours. Les plus magnanimes se contenteront d’y voir un coup de pression légitimement administré à un paritarisme trop souvent sclérosé ; les moins conciliants, dont je fais partie, s’interrogeront plus volontiers sur cette stratégie du « tout communication » (fût-ce à vide) mettant les sujets tantôt en tension, tantôt sous le tapis, au gré des enquêtes d’opinion et des emballements médiatiques. Faute de la moindre idée qui pourrait constituer le début d’un chemin vers un compromis social, cette année de palabres nous aura menés de la rue… à l’impasse.


Message de service

La poursuite d’activités éditoriales rémunérées me contraint à laisser cet espace, si ce n’est en sommeil, à tout le moins en sieste. Si par extraordinaire ma prose vous manque, j’ai commis l’augmentation d’un article initialement diffusé ici pour une publication dans le numéro d’avril de la vénérable revue Droit Social, à l’initiative du professeur Christophe Radé, que je remercie pour cette opportunité.

Reste une conviction : plus mes interventions ici seront impromptues, plus elles égaieront votre boîte mail par leur incongruité ; raison pour laquelle vous pouvez toujours vous abonner.


Le Chiffre

49 %

… comme la part des entrants en contrat de professionnalisation qui étaient, avant sa conclusion, en recherche d’emploi, sur le total des contrats signés en 2022, et selon la Dares. C’est par ce public bien particulier que l’exécutif a décidé d’ouvrir sa chasse aux économies budgétaires dans le champ des politiques de l’emploi. En parallèle, l’intégralité des aides à l’apprentissage en formation initiale sont maintenues, même celles, à la pertinence pourtant discutable, qui bénéficient par exemple aux entreprises de plus de 250 salariés pour recruter des étudiants à bac+5.


À voir / Chanter le travail

«Samedi soir à Fumel», Les enfants du Rock, 1982

Rangez vos Manchester et vos Glasgow : dans le Lot-et-Garonne, on avait aussi de la fumée noire, des guitares, des usines sidérurgiques qui fermeraient bientôt, et assez de rage pour crier dans un micro sur pas plus de trois accords. Vingt minutes donc, pour comprendre ce que la jeunesse et sa musique deviennent quand elles rencontrent la désindustrialisation, avec des accents bien de chez nous, quelques constats accablants, et une insouciance un peu désespérée à laquelle les faits ont, à n’en pas douter, donné raison.


À lire

En ces temps où l’équation budgétaire vient percuter de plein fouet les politiques du travail, Contexte fait œuvre utile en détaillant le parcours d’un projet de loi de finances. Indispensable pour la culture de chacun, et pour une lecture plus précise des temporalités politiques et administratives.

Licenciements économiques, transferts d’entreprises massifs, bidouillages de la location-gérance, statuts collectifs en capilotade et conditions de travail soumises à une rationalisation aussi forcenée que déshumanisante : si le terme « big bang » utilisé dans la titraille de ce descriptif des restructurations à l’œuvre dans la grande distribution n’est pas exagéré, c’est qu’il donne naissance à une galaxie de souffrance au travail.

On sait le sujet propice aux fantasmes, alors consulter les données de l’Unédic ne fait jamais de mal, pour se rendre compte par exemple que l’indemnisation concerne 2,5 des 6,1 millions de chômeurs, constituant l’exception plutôt que la règle.


À écouter

« France Travail : la fin de l’insertion », Ouafia Kheniche, Le reportage de la rédaction, France Culture, 11 avril 2024

Ce n’est qu’une petite porte entrouverte en quatre minutes sur un univers qui change, mais on y comprend que France Travail a basculé de la logique de l’accompagnement à celle du placement. Comme elle semble loin la loi qui promettait « la liberté de choisir son avenir professionnel » …



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